Cathédrale de Notre-Dame : les mécènes américains et le patrimoine français
En réponse à l’émotion suscitée par la destruction de ce symbole de notre patrimoine culturel qu’est la Cathédrale de Notre-Dame, la journée du mardi 16 avril 2019 a été marquée par de nombreuses promesses de dons.
Face au désastre qu’a constitué l’incendie, les donateurs se mobilisent, tout comme les pouvoirs publics. La région Ile de France annonce une aide de 10 Millions, la Mairie de Paris une contribution de 50 millions, ainsi qu’une « grande conférence internationale des donateurs ». Entreprises et grandes fortunes ont également fait part de leurs promesses de don : LVMH et la famille Arnault (200 millions d’euros), François-Henri Pinault (100 millions), le groupe Total (100 millions), Martin et Olivier Bouygues (10 millions à titre personnel), la famille Bettencourt et L’Oréal (200 millions), et Marc Ladreit de Lacharrière (10 millions « pour la restauration de la flèche »). D’autres suivront. La Fondation du patrimoine a, elle, ouvert une levée de fonds en ligne, alors que les cagnottes Leetchi ou Lepotcommun se multiplient et qu’un grand concert de levée de fonds sera organisé samedi soir par France 2.
Au-delà des annonces spectaculaires de familles et d’entreprises, il faut rappeler que ce sont les contribuables français qui vont, indirectement, participer à l’effort de reconstruction, grâce aux déductions fiscales offertes aux mécènes : pour les entreprises, la niche mécénat offre 60 % de réduction sur l’impôt sur les sociétés (et 66 % de réduction d’impôt sur le revenu pour les particuliers), plafonné à 0,5 % du chiffre d’affaires, avec la possibilité de bénéficier d’un échelonnement de l’avantage fiscal sur cinq ans. Ces dons sont ainsi l’expression de l’hybridation de l’action privée et publique qui est ici à l’œuvre. Certains appellent même à une défiscalisation plus importante pour cette grande cause nationale qu’est la reconstruction de la Cathédrale – comme en témoigne la proposition de Jean-Jacques Aillagon, actuellement directeur général de la collection Pinault, de décréter Notre-Dame « trésor national » pour bénéficier de la déduction d’impôt de 90% prévue par la loi sur le mécénat dite « Loi Aillagon » (1). Ceci ne manque pas de susciter des polémiques, tant autour de la pertinence des déductions fiscales et de leur déplafonnement que des montants annoncés et dont on comprend qu’ils étaient disponibles, et ce dans un contexte difficile pour le secteur, depuis la disparition de l’ISF.
Les promesses de don affluent également de l’étranger, où de nombreux mécènes souhaitent participer à la reconstruction de ce symbole du patrimoine culturel universel. La ville hongroise de Szeged a annoncé faire un don de 10 000 euros, le roi de Krindjabo, capital du royaume du Sanwi, dans le sud-est de la Côte d’Ivoire, va faire un don pour la reconstruction de la cathédrale, et ils ne sont pas les seuls (2). La directrice de l’UNESCO a, elle, annoncé un soutien technique à la reconstruction. D’autres initiatives, en particulier aux Etats-Unis, émergent. French Heritage Society, association américaine qui se consacre à la préservation des trésors du patrimoine culturel français, a lancé une page Web pour collecter des fonds (3). De même un don américain de 10 millions de dollars a été réalisé par Henry Kravis, co-fondateur du fonds d’investissement KKR, et son épouse (4).
Les levées de fonds auprès de mécènes américains pour Notre-Dame de Paris ne sont pas chose nouvelle, elles ont commencé bien avant l’incendie, à travers une association singulière : les « Friends of Notre-Dame ». Pour comprendre comment elle est née, remontons un peu dans le temps. La Cathédrale de Notre-Dame, qui aura cette année 854 ans et qui est l’un des monuments les plus visités au monde (avec plus de 14 millions de visiteurs par an), se trouvait dans un état particulièrement délabré. Après un audit mené en 2014, il avait été décidé que des restaurations s’imposaient de manière urgente, devant être mises en œuvre dans les cinq à dix prochaines années. Les travaux avaient d’ailleurs commencé en 2018, sous la responsabilité de Philippe Villeneuve, architecte en chef en charge de ces restaurations.
Le coût de ces restaurations était estimé à 100-150 millions d’euros. L’Etat français s’était engagé contribuer à hauteur de 2 millions d’euros chaque année, mais des levées de fonds allaient s’imposer. Or les Américains sont parmi les plus nombreux visiteurs de ce monument et certains d’entre eux se sont adressés à l’administration de la cathédrale pour proposer de participer financièrement aux restaurations. C’est ainsi qu’est née l’idée de créer une structure pour lever des fonds pour la restauration de la Cathédrale de Notre-Dame auprès des Américains, surtout qu’il existe un lien particulier qui les unit à ce monument – on peut rappeler que c’est à Notre-Dame que de nombreux GI ont célébré la Libération de Paris après la Seconde Guerre mondiale, alors que ses cloches monumentales résonnaient dans la capitale libérée.
L’association « Friends of Notre-Dame » a donc été créée en 2017 par l’archevêque de Paris et le diocèse de Paris pour aider aux restaurations du monument. Dans cette levée de fonds Outre-Atlantique, Andrew Tallon, aujourd’hui décédé, qui était co-auteur d’un livre sur Notre-Dame de Paris et Professeur d’art au Vassar College dans l’Etat de New York, a joué un rôle déterminant, ainsi que certains de ses étudiants, créant notamment un scan 3D de la cathédrale (5), dont on dit aujourd’hui qu’elle pourrait constituer un outil clé dans sa reconstruction. Plusieurs événements de levée de fonds ont été organisés par les « Friends of Notre-Dame », en novembre 2017 et Avril 2018, - comme l’a expliqué son directeur, Michel Picaud -, à Boston, Chicago, Houston, Los Angeles et Washington, autour de présentations d’intervenants experts de la cathédrale ainsi qu’une exposition photographique retraçant l’histoire de Notre-Dame.
Or cette association « Friends of Notre-Dame » n’est que la partie émergée de l’iceberg d’un phénomène beaucoup plus ample de levée de fonds des institutions culturelles françaises (et européennes plus largement) aux Etats-Unis. Il existe aujourd’hui une trentaine d’American Friends pour des institutions françaises, culturelles, mais également dans d’autres domaines (universités, centres de recherche etc.), et plus d’une centaine en Europe. Les American Friends, qui sont des associations de droit américain, bénéficiant du statut de 501(c)(3), permettent à des mécènes américains de faire des dons à des institutions étrangères, tout en bénéficiant de déductions fiscales dans leur pays. Elles constituent aujourd’hui un phénomène de grande ampleur et en pleine expansion (6).
Si d’autres mécènes étrangers donnent aux institutions culturelles françaises (on peut rappeler que la Russie avait offert le sapin de Noël de Notre-Dame en 2014), la générosité américaine à l’égard de la France est, elle, une histoire ancienne. Elle remonte au don qu’effectua John D. Rockefeller en 1924 au Château de Versailles, au Château de Fontainebleau et à la Cathédrale de Reims, mais s’inscrit plus largement dans la participation des Américains à la reconstruction du pays après les Première et Seconde guerres mondiales. Cette générosité américaine s’institutionnalise aujourd’hui à travers ces associations d’American Friends, reposant à la fois sur un système fiscal avantageux et sur la relation privilégiée qui unit les élites américaines et l’Europe. Et elle s’exprime de nouveau à ce jour pour permettre à ce symbole éternel qu’est Notre-Dame de renaître de ses cendres.
NOTES
(1) Article du Monde, « Dons pour Notre-Dame de Paris : ‘C’est la collectivité publique qui va prendre en charge l’essentiel du coût’ », 16 Avril 2019
(2) Article du Figaro, « Notre-Dame : près de 700 millions d’euros déjà donnés par les entreprises et les grandes fortunes », 16 Avril 2019
(3) Article du Monde, « Notre-Dame de Paris : cagnottes, promesses de dons et souscription nationale pour financer la reconstruction », 16 Avril 2019
(4) Article du Figaro, « Notre-Dame : près de 700 millions d’euros déjà donnés par les entreprises et les grandes fortunes », 16 Avril 2019
(5) http://info.vassar.edu/news/2014-2015/140709-homage-notre-dame.html
(6) Voir la thèse d’Anne Monier sur les American Friends, qui sera publiée en septembre 2019 aux Presses Universitaires de France