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France

Argent public, profits privés : BNP Paribas et la « School of Positive Impact »

Par Thomas Depecker, Marc-Olivier Déplaude et Nicolas Larchet

En décembre dernier, la banque BNP Paribas et la Communauté d’universités et établissements Paris-Sciences-Lettres (PSL) – qui comprend entre autres l’Université Paris-Dauphine, l’École normale supérieure et Mines Paris Tech – annonce la création d’une « School of Positive Impact ». Présentée comme un cursus de licence pluridisciplinaire et « exigeante » visant à « former les générations futures aux objectifs du développement durable », cette formation serait financée entièrement grâce un don versé par BNP Paribas, d’un montant de près de huit millions d’euros sur une durée de cinq ans.

Ce projet de licence a déjà suscité de nombreuses critiques, sur l’absence de consultation du corps enseignant avant sa création, sur son financement par un seul et unique mécène, sur la clause de « non-dénigrement » initialement prévue, ou encore sur l’intention prêtée à BNP Paribas de chercher à reverdir son image à peu de frais (1).

Les premiers articles parus dans la presse ont largement mis en avant le financement par le seul groupe BNP Paribas : « Un projet de licence universitaire financée par BNP Paribas fait débat », « BNP Paribas se paye un cursus universitaire pour se reverdir  », etc. Or, cette manière de présenter les choses tend à occulter le fait que les dépenses de mécénat effectuées par les entreprises sont défiscalisées à hauteur de 60 %, dans les limites de 0,5 % de leur chiffre d’affaire (soit un plafond confortable de 212 millions d’euros pour BNP Paribas, selon les résultats du groupe en 2018). Autrement dit, le coût réel de cette « School of Positive Impact » pour la banque serait de seulement 3,2 millions d’euros, le reste (4,8 millions d’euros) étant à la charge de l’État, sous la forme de perte de recettes budgétaires. BNP Paribas engage ainsi, de manière irrévocable, de l’argent public, sans que le ministère du Budget (sans même mentionner le Parlement !) puisse se prononcer sur le bon emploi de cet argent.

Reste également à savoir pour qui l’impact sera positif. Cet argent, qui est dans sa composition davantage public que privé, bénéficierait à un regroupement d’universités et de grandes écoles déjà très bien dotées par rapport à d’autres établissements dans l’enseignement supérieur. De manière classique, mais contrairement aux idées reçues sur la philanthropie et le mécénat, les riches donnent d’abord... aux riches. C’est ce qu’illustre bien le cas des « fondations académiques », créées en 2007 par la loi relative aux libertés et responsabilités des universités : les fondations qui ont réussi à collecter le plus grand volume de dons sont celles de grandes écoles telles que HEC (160 millions d’euros collectés entre 2008 et 2017) ou l’École polytechnique (80 millions), loin devant celles des universités, accueillant pourtant un bien plus grand nombre d’étudiants (35 millions pour la fondation la mieux dotée des universités françaises – celle de l’Université de Strasbourg –, seulement 1,5 million pour celle de l’Université Paris-Sud) (2)... Bien loin de réduire les inégalités de dotation déjà criantes au sein de l’enseignement supérieur, les dons effectués par les entreprises et les riches particuliers les renforcent.

Le projet de la « School of Positive Impact » soulève enfin la question de la transparence et de la redevabilité des activités de mécénat des entreprises, dans la mesure où elles engagent de l’argent public. Alors que les États sont soumis à des pressions de plus en plus fortes pour rendre des comptes sur leur « performance », le contrôle des pratiques de mécénat est quasiment inexistant – comme l’ont récemment déploré l’Inspection générale des finances et la Cour des comptes. Plus généralement, cela questionne la manière dont sont régulées les activités de mécénat des entreprises, afin de s’assurer qu’elles soient effectivement orientées vers l’intérêt général et non simplement vers la défense d’intérêts privés.

Pour aller plus loin : Thomas Depecker, Marc-Olivier Déplaude et Nicolas Larchet, dir. (2018), « Entreprises philanthropiques », Politix, 2018, n° 121.

NOTES
(1) Pour plus de de détails, voir Faïza Zerouala, « Une licence sur le développement durable financée par BNP Paribas continue de faire polémique », Mediapart, 22/03/2019.
(2) Adrien de Tricornot, « Fondations : le trésor de guerre des grandes écoles », Le Monde, 09/01/2018.

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